Musée Régional de Boké en Guinée : à la rencontre du vieux messager Kékoroba surnommé le Vieux Sage

Article : Musée Régional de Boké en Guinée : à la rencontre du vieux messager Kékoroba surnommé le Vieux Sage
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13 octobre 2021

Musée Régional de Boké en Guinée : à la rencontre du vieux messager Kékoroba surnommé le Vieux Sage

Lors de mon entrée la préfecture de Boké en pleine journée, je découvre que, pas grand-chose n’a changé depuis mon dernier séjour en 2015. En tout cas, positivement rien n’a changé dans ma ville natale. Malheureusement, le changement que j’ai constaté c’est la dégradation de la voirie urbaine et la destruction du grand marché. Je fais le tour de certains services publics (hôpital, terrains, centre culturel) : aucun renouveau. Enfin je décide alors d’aller vers le musée, le temple de l’histoire. Ceci dit, je partais avec hésitation vu l’état dans lequel je le contemplais pendant l’enfance un simple refuge des cochons.

Mais à mon arrivée, je constate avec surprise et joie que tout a été rebattu et bien entretenu. Aux extrémités de la grande porte, deux canons à feux sont posés de chaque côté. Je constate aussi des statues des trois monuments de la résistance coloniale, Samory Touré, Alpha Yaya Diallo et Dinah Salifou. Une fois rentré, place aux salutations d’usages. Le guide monsieur Traoré, me fait visiter le lieu qu’il connaît aux bout des doigts. Il se sent privilégiés de guider les gens dans ce temple et le fait avec un amour sans mesure.

Musée Régional de Boké

Cette visite débute au sein de la statue marquant le parcours de René Caillé et finit au niveau de la détention des bras valides.

Ce début marque l’exploration de René Caillé qui est le premier explorateur français à fouler les pieds sur les terres de la Basse Guinée. C’est à partir de cette rue dénommée Rue Réné Caillé que, le 19 avril 1827, il entreprend une visite au Fouta Djallon. Il part voir les pièces historiques de Fouta où il est accueilli avec le nom d’Ibnou Abdallah, puis part à la visite de la case historique de Dinguiraye en Haute Guinée. Sa visite finira à Tanger au Maroc, le 7 septembre 1828. Et ce, en empruntant le fleuve Niger en passant par Tombouctou au Mali. Tous les deux, carrefours des dépotoirs d’esclaves.

Après cette leçon d’histoire jusqu’ici ignorée par beaucoup comme moi, nous cheminons à pas lents vers le bâtiment du musée régional. Dessus est inscrite la date de construction de 1878. Jusqu’ici le bâtiment a connu des retouches mais jamais un changement définitif. Il a été battu avec des roches et taillé par nos aïeux au temps de l’esclavage. Ce bâtiment a été construit en premier pour être le campement du commandant de cercle de la pénétration coloniale. Devenu musée, il est fait de quatre pièces dont : la salle de sentinelle, celle des archives, celle des réceptions et la salle de la détention des bras valides comprenant la prison et le souterrain.

Le vieux sage

Kekoroba, le vieux sage. Crédit photo : Diarouga

Après avoir passé et entendu l’explication du guide concernant beaucoup de statues qui ont des rôles différentes et indispensables à l’époque, j’ai aperçu une statue très affreuse. Particulièrement sa tête au crâne rasé sauf trois parties qui, chacune, apparaît comme un triangle. C’était sans connaître ce qui se cassait sur cette statue ou avant qu’on ne me raconte l’histoire de ce personnage pour que je le qualifie d’affreux.

En effet, Kekoroba est un vieux qui se rase toujours mais laisse trois coupes de cheveux sur sa tête. Finalement, les gens remarquent sa coiffure et se demandent quelle en est sa signification. Kekoroba a toujours répondu aux gens : « Monsieur ou Madame, ça c’est ma vie, je ne peux pas le dire à quelqu’un. Car, le jour où quelqu’un d’entre vous me donnera la signification des trois, je donnerai ma tête à couper. »

Il a fait cela pendant sept ans jusqu’au jour où le griot du roi est passé. Il l’a vu et lui posa la même question qu’il y’a sept ans. Kekoroba reste intransigeant sur sa réponse : « Griot, ça c’est ma vie, je ne peux pas le dire à quelqu’un. Car, le jour où toi griot me donnera la signification des trois, je donnerai ma tête à couper. » Le griot décide alors de tout faire pour obtenir des réponses.

Le griot curieux jusqu’au bout

Il (le griot) part voir son roi pour lui parler du monsieur. Ce dernier invite Kekoroba et lui pose la même question. Le vieux reste intransigeant sur sa réponse : « Chef, ça c’est ma vie, je ne peux pas le dire à quelqu’un. Car, le jour où vous chef me donnerez la signification des trois, je donnerai ma tête à couper. Le chef ordonne sa libération mais c’était sans compter sur l’engagement du griot à obtenir ses réponses coûte que coûte. Deux jours après cet évènement, le griot revient voir le chef avec des chansons de motivation. Il pousse le chef jusqu’à ce qu’il prédit que pour avoir les réponses il faut l’aide de la femme de Kekoroba. Chose faite, la femme de Kekoroba se retrouve convoquée chez le roi.

Elle fait le déplacement, le roi lui demande de tout faire pour avoir les significations de ces coupes de cheveux. Elle consent, rentre avec son plan à la maison, mais attend la tombée de la nuit pour le mettre à exécution. La nuit tombée, la femme de Kekoroba se lève et pleure à haute voix. Son époux abasourdi, lui demande alors : « Madame avez-vous faim ? Etes-vous malade ? » L’épouse réplique : « Non, je pleure en pleine nuit parce que j’ai compris qu’il n’y a pas de confiance entre nous. J’entends des rumeurs disant que quiconque donnera la signification sur votre coupe de cheveux, vous donnerez votre tête à couper, continue-elle. Avez-vous un témoin ? « , demande la femme.

Kekoroba cède finalement

Kekoroba reste intransigeant un long moment mais la pression et la parole de sa femme lui jurant ne jamais dévoiler le secret parvint à le faire craquer. Il dit alors : « Ma femme, ces trois coupes de cheveux signifient : un, un enfant adopté ne deviendra jamais ton propre fils ; deux, il ne faut jamais lancer un défi contre un chef et trois aime beaucoup ta femme. Il ne faut jamais lui dévoiler tous tes secrets.

Le matin, la femme s’empresse de rendre compte au roi qui ordonna sans attendre qu’on tape le tabala pour que tout le monde se regroupe chez lui. Les gens regroupés, il appelle Kekoroba et lui demande si leur convention tient toujours Le vieux répond :  » allez-y chef, j’honore toujours ma parole ». Le chef reprend alors les significations : « un, un enfant adopté ne deviendra jamais ton propre fils ; deux, il ne faut jamais lancer un défi contre un chef et trois aime beaucoup ta femme. Il ne faut jamais lui dévoiler tous tes secrets. » Le vieux lui demande qu’il accepte deux ou trois choses avant d’être tué, le roi consent et lui demande de faire vite.

D’où le surnom le Vieux Sage

salle de détention. Crédit photo : Diarouga

Le vieux Kekoroba dit : « Roi on m’a donné un petit bébé, il est devenu gaillard. C’est mon fils, faites-le venir avant qu’on ne m’attache. » Le jeune dit au chef qu’il ne veut pas s’approcher plus près pour ne pas que le sang de Kekoroba le salisse, et puis que ce n’est pas son père. Le vieux sourit et dit : « Vous êtes chef, c’est pourquoi j’ai dit : un enfant adopté ne deviendra jamais ton propre fils. Deuxièmement chef, si je suis là aujourd’hui c’est parce que j’ai lancé un défi contre vous, et vous êtes passé par tous les moyens pour m’avoir. Une dernière chose avant qu’on ne me tue, chef, qui vous a dit ces secrets ? » Le chef lui répond que c’est votre femme. Kekoroba réconforté, dit : « C’est pourquoi j’ai dit : aime beaucoup ta femme. Il ne faut jamais lui dévoiler tous tes secrets. »

Le roi, à la surprise générale refuse de tuer Kekoroba et le déclare nouveau conseiller du roi. Depuis, Kekoroba est appelé, par tout le monde et partout, le vieux sage.

Le chemin de non retour. Crédit photo : Diarouga

Elles sont nombreuses les merveilles qui sont dans ce musée de la place de René Caillé en passant par les différentes salles jusqu’à la prison souterraine. Après ce souterrain justement se trouve une ruelle appelé le chemin de non-retour des esclaves qui mène à la mer. Ce chemin de non-retour est long de 300m, de là ils étaient départagés au port de Kamsar pour être déportés. Beaucoup des déportés vivent aujourd’hui à l’île de Saybadors au Brésil.

Ce billet s’inscrit dans le cadre d’une conscientisation

Il serait difficile pour moi de vous raconter tout ce que j’ai vu, tout ce que j’ai vécu comme plaisir, moins vous faire découvrir tout ce que j’ai découvert. Pas parce que je ne peux pas ou ne veux pas, NON. Mais parce que ce billet s’inscrit dans la logique de conscientiser nous jeunes afin d’aller plus vers les musées au lieu des restos et grands hôtels. C’est dans ces musées qu’on retrouve notre histoire, alors je vous fais découvrir un statut qui est dans ce musée et me réserve des autres afin que vous ayez la curiosité d’aller. Je le fais pour aussi aider ce guide qui travaille de façon bénévole et qui souffre du manque de visiteurs pour entretenir ce musée et vivre lui aussi de ce qu’il aime faire.

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