L’art oratoire ou l’arnaque intellectuelle

Il est 11h, quand un jeune homme accompagné par le surveillant du lycée pousse la porte de notre classe. Nous sommes en 2018, et en ce temps, j’étais en 12^e année, au lycée Ley Wendou de Télimélé, en Guinée. Après une brève salutation, le surveillant présente le jeune comme un coach en art oratoire. Et le surveillant lui laisse la latitude de nous décliner son projet. Le jeune diplômé en droit public prend la parole.

Il fait une longue auto présentation… Pardon, autopromotion. Il nous parle d’une formation de quatre jours en art oratoire. Qu’après ces quatre jours de formation, tous nos maux de parler devant un auditoire disparaitront, dit-il. Comme si c’était facile ! Je me pose alors beaucoup de questions. S’il était aussi bien, pourquoi toute cette présentation alors que le diplôme le plus louable qu’il a, c’est une licence en bac+3 ? Pourquoi ne nous a-t-il pas parlé de son expérience professionnelle ? Mais bon !

Après ce résumé de son CV ordinaire, mes amis et moi nous sommes précipités pour lui poser des questions. Est-ce gratuit, cette formation ? Mais à quoi bon avilir l’accroissement de sa clientèle. Surtout si on sait que l’élève guinéen paye peu pour acquérir un livre ou une quelconque formation. Il assouvit notre question par « c’est gratuit », mais coupe rapidement cette allégresse qui anime les gens à suivre, en ajoutant : « MAIS ». C’est dire : toutes les personnes qui suivront la formation doivent payer une somme de 50 000 francs pour le certificat. Tenez-vous bien, impérativement.

Beaucoup d’amis se désistèrent, d’autres même murmurent : « Je préfère amener ma copine avec cette somme à Janet Night-Club pour le prochain week-end ! ». Si seulement je savais, je ferais autant. Inviter ma petite-amie, ou même si c’est ma cousine Mariame, du mariage Peulh. Hélas ! Voyant mon groupe (les filles de la classe) excité de faire la formation afin de dissiper toute peur devant un auditoire, je m’engage aussi.

Le jour J

Nous voilà le jour J, prêts pour faire fuir toute anxiété de parler en public et ce, de la façon la plus brutale. C’est le premier jour d’une formation qui a fait déjà bruit dans la cité. Accoutré d’un falzar en jean, Lacoste blanc et d’une paire de chaussure à l’Air-Force, couleur noire. Un dresscode qui échappe à toutes les règles d’art oratoire. Mais à quoi ça sert de respecter le dresscode pour satisfaire l’élève guinéen qui croit que l’intellectuel est celui qui utilise des gros mots ? Il en use, d’ailleurs, les gros mots en abondance, pour nous flatter de sa formation. Reste à savoir si ces mots étaient dans le bon sens.

Muni d’un ordinateur portatif et d’un projecteur devant une foule d’élèves dans une salle pleine à craquer, il commence par interroger un quart des participants. Tous répondirent aux mêmes questions : pourquoi avez-vous peur de parler en public, et comment vous vous sentez quand vous vous exprimez ?

Avec ces réponses comme l’acteur Shaun Murphy dans la série américaine  »Good Doctor ». Il a le diagnostic, il ne lui reste plus qu’à nous soigner. Allez, c’est parti.

Quatre jours de gâchis

Pendant quatre jours, épaulé par la souris de son ordinateur, il nous fait la lecture, nous explique des méthodes abstraites en usant des gros mots. L’auditoire suit passivement ses méthodes, un silence absolu, une attention vaine pour un résultat stérile. Ce, avec un contenu copié/collé, tiré dans des œuvres comme L’art de parler en public du célèbre Dale Carnégie.

Quatre jours de gâchis, aucune pratique, nada. Parler du look (le sien même ne répond pas). Le rythme, la diction, la tonalité, le volume, la gestuelle…. Rien n’était dans le programme. Que du temps perdu et une concentration vaine. Et lui alors, il a déjà réussi. Imaginez avec cette somme multipliée par cent personnes, combien il gagne ? C’est de cela dont il s’agit : une question d’argent. Et non d’un partage, voire d’une transmission du savoir.

Ils sont nombreux, les coachs, les ONG, les cabinets, qui ne font qu’arracher des sommes énormes, pour un passe-temps minable, aux sortir desquels on décerne des certificats ici et là. Les victimes sont nombreuses et les étudiants en particulier, mention aux bleus (licence 1) de nos différentes institutions d’enseignements. Les pauvres !

La communication étant un outil indispensable pour la carrière professionnelle de tout étudiant ou diplômé, chercher à l’avoir est primordial. Sur ce, choisissons des bons endroits parmi lesquels vous pouvez aller : à l’Institut d’Art Oratoire de Guinée ou encore Tostmaster International, où vous pouvez avoir d’ailleurs beaucoup de parcours tout en perfectionnant votre prise de parole en public (je suis membre).

Prenez des coachs, mais choisissez les profils. Prenons en un profil exemplaire d’un coach : Emmanuel Tamba Millimono, coach formateur en motivation, leadership et art oratoire. Vainqueur de plusieurs concours d’éloquence de l’université Générale Lansana Conté de Sonfonia en 2018, il a représenté la Guinée en 2019 à la COPAD (Coupe panafricaine de débat) au Burkina Faso.

Cela étant dit, peu importe là où vous irez, ou le coach que vous avez, si vous ne pratiquez pas, c’est impossible d’être un orateur. Inutile de dépenser des sommes colossales qui ne valent rien. Car, pour moi, la parole ne s’étudie pas, elle se pratique.

Si hier, l’arnaque ne se faisait qu’avec les banques mobiles (Orange Money, Mobile Money), ou sur l’internet. Aujourd’hui, il est plus fréquent sur des dites formations en art oratoire, mais aussi en entreprenariat ou la création et gestion des projets, mais ceci est une autre histoire.

NB : Le scénario plus haut est fictif.

Auteur : Diarouga Aziz Balde