Être étudiante à Conakry, synonyme d’être une bonne sans salaire

Article : Être étudiante à Conakry, synonyme d’être une bonne sans salaire
Crédit: flickr.com
29 juin 2021

Être étudiante à Conakry, synonyme d’être une bonne sans salaire

« Mon papa voulait que je loge près de mon institut (ISIC de KOUNTIA) à Coyah. Chez son meilleur ami. Mais, ma mère s’est opposée, comme sa sœur est à Conakry. Ce serait un peu louche si je pars logée ailleurs et non chez ma tante. Donc ils (mes parents) ont appelé sa sœur et elle a accepté, elle et son mari, de m’héberger. C’est comme ça que je me suis retrouvée ici », raconte l’une des étudiants à Conakry.

La vingtaine au teint antillais, accoutrée d’un pantalon en tissu noir et d’un t-shirt blanc embelli par des puces noires. Elle accepte de témoigner, mais à condition que cela soit à la cachette de son identité pour des raisons personnelles, influencées par celles de la famille. C’est pourquoi on l’appellera ELT.

Elle a obtenue le baccalauréat en 2019 à Kankan. ELT est orientée au département de Communication à l’institut supérieur de l’information et de la communication (ISIC) de Kountia. Cette institution est la seule de l’enseignement supérieur public à enseigner la communication et le journalisme. C’était d’ailleurs son premier choix. Quelle chance !

Elle rejoint alors la famille de sa tante, la sœur de sa mère. Sa tante est l’année de son aïeul maternel. Ce couple de quatre enfants vivent à Sonfonia, un quartier de la banlieue de Conakry.

Tout droit derrière ses lunettes, tantôt avec un regard calé, tantôt avec la tête ballotée. La jeune fille me raconte les premiers mois de son séjour à Conakry. Ce, à la quête d’un diplôme de communication, d’une formation intense de quatre ans. « Quand je suis venue au début, elle était gentille et souriante, elle m’a accompagné à l’Institut pour m’inscrire. Elle essayait même de me montrer la ville », dit-elle.

Aller vite en besogne

Mais elle est allée vite en besogne. Car, ce sourire et cette gentillesse n’ont duré que les deux premières semaines. La jeune fille a ensuite dû commencer l’entretien domestique de la maison. Elle me parle, assise entre les quatre mûrs dans l’une des salles de classe de l’ISIC. Elle continue de m’expliquer, j’étais contraints de voir ses larmes incessantes sur sa joue droite, qu’elle essuie sans cesse avec un mouchoir. « Elle a commencé par m’instruire de laver tous les habits sales avant d’aller à l’école, ses habits le soir à mon retour à défriper. Puis, de m’occuper de la propriété intégrale de la maison, à puiser de l’eau, etc. Les travaux étaient énormes, à telle mesure que je n’avais plus le temps de réviser mes cahiers », raconte-t-elle, d’une voix basse.

Cette situation affecte énormément le premier module de l’étudiante, dans un institut où les matières sont axées sur la pratique et le terrain. Pour preuve, elle est en session dans plusieurs matières, comme l’économie générale, lors du premier module. Ce, même si elle restait à l’institut après les cours, vers 15 ou 16h. Pour pouvoir réviser avant de retourner désormais à la maison, qui l’attend avec toutes ces tâches à exaucer.

Un confort sommaire

Le hic est que l’étudiante ne gagnait en retour que de passer la nuit à la maison familiale. Les vivres, le transport, les frais éventuels pour se rendre à un établissement médical, même le savon avec quoi faire son bain était pris en charge par le père de la fille, comme elle le confirme ici : « Je ne mangeais qu’une seule fois là-bas par jour. Le matin, quand le riz de la veille reste, ma tante me dit de le réchauffer ça et de le manger avant d’aller à l’école, alors que moi je n’ai pas l’habitude de déjeuner ça. Donc, je boude. Ma tante ne me donnait aucun sou, tout était pris en charge par mon père, qui m’envoyait plus de 200 mille GNF par semaine. »

Quid d’AOB ?

AOB, elle aussi, est une fille de teint clair, cheveux bruns, à la silhouette quasi parfait. Bref, un beau brin de fille, quoi ! Elle accepte aussi de témoigner, mais sous l’anonymat.

Après avoir eu son baccalauréat en Basse Guinée, en 2019, AOB s’oriente en journalisme à l’ISIC de Kountia. Orpheline de père, elle et sa mère commencent à chercher où elle déménagera dès les vacances, mais en vain. Soudain, et contrairement à ELT, ce n’est pas la famille mais la fille d’un de leurs voisins qui se présente et leur fait une offre, raconte AOB : « Quand j’ai eu le baccalauréat, une voisine à nous est venue me chercher chez moi. Elle prétendait vouloir m’aider pour mes études universitaires. Ma mère et moi étions vraiment inquiètes sur la question de comment j’allais continuer mes études, vue notre situation financière. On se disait que c’était tout simplement une aubaine pour nous, qu’elle soit venue me proposer de vivre avec elle. »

Deux semaines avant le début des cours, l’étudiante quitte sa préfecture pour rejoindre sa voisine, désormais sa tutrice à Conakry (Minière). Quelques jours après, elle constate que sa tutrice voulait une bonne, mais pas que. Elle (sa tutrice) travaille sans cesse, de 8 h à 16 h, des fois plus. Elle vivait seule avec ses deux enfants. Alors l’étudiante servait aussi à garder un œil sur ses enfants et exaucer les moindres besoins de ces derniers.

Le début d’un calvaire

Commence alors tout un calvaire pour l’orpheline : « elle me laissait toutes les corvées. Le matin, je commençais par laver les bols, puis les habits de ces enfants. La maison, la cuisine, jusqu’à la quête de l’eau (plus de dix bidons par jours) étaient à ma charge. »

Après quelques semaines de cours, la jeune fille n’avait toujours pas l’accompagnement de sa tutrice pour le transport Minière-Kountia. Elle décide alors de passer quelques jours chez une amie, à la Cimenterie, pas loin de Kountia, et de revenir les week-ends à Minière. Ce, pour diminuer les couts du transport qui pèsent beaucoup à la poche de sa mère, seule à pouvoir l’aider. La pauvre !

Appâter pour retenir

Constatant que cela ne l’arrange guère, la tutrice inscrit l’orpheline à un cyber pour des cours d’informatiques que doit apprendre l’étudiante après ses cours à l’université. « Ces cours étaient de 18h à 20h, trois jours par semaine », raconte-t-elle. Puis, tenant au désir de l’étudiante d’exceller dans son domaine, le journalisme, elle l’appâte et lui promet de jouer sur ses influences pour qu’elle ait un travail, seulement si elle continuait de rester avec elle, affirme la jeune fille : « Elle était convaincue que j’allais sûrement partir, vu les travaux et le transport, qui me fatiguent. Elle commence alors à m’expliquer qu’elle a des amis journalistes, qu’elle va leur parler de moi », avant d’ajouter : « mais tout ça était pour me berner. Car, elle ne me donnait aucun sou, même pour le transport avec lequel j’allais au cyber. »

La loi face à ces agissements

Pour comprendre si les législateurs ont pensé à ce fait, j’ai sollicité l’aide d’un homme de Droit : monsieur Adrien TOSSA, enseignant-chercheur à l’ISIC de Kountia et d’autres universités privées, activiste, défenseur des droits de l’homme et coordinateur de l’ONG « Même Droit pour Tous » en Guinée. Pour répondre à la question, il m’oriente à la section III : de la traite des êtres humains, à l’article 323 du code pénal sur deux circonstances qui se présentent au cas de ces filles dont voici le contenu :

Section III : de la traite des êtres humains

Article 323 : La traite des êtres humains est le fait de recruter une personne, de la transporter, de la transférer, de l’héberger ou de l’accueillir à des fins d’exploitation dans l’une des circonstances suivantes :

2. soit par un ascendant légitime, naturel ou adoptif de cette personne ou par une personne qui a autorité sur elle ou abuse de l’autorité que lui confèrent ses fonctions

3. soit par abus d’une situation de vulnérabilité due à son âge, à une maladie, à une infirmité, à une déficience physique ou psychique ou à un état de grossesse, apparente ou connue de son auteur ;

L’article est chuté par : « La traite des êtres humains est punie d’un emprisonnement de 3 à 7 ans et d’une amende de 500.000 à 10.000.000 de francs guinéens ou de l’une de ces deux peines seulement. »

Dans ce cas, il est à noter que dans la définition de la traite des êtres humains, ELT et AOB s’y retrouvent dans l’hébergement ou l’accueil à des fins d’exploitation.

La deuxième à cause de cette phrase : soit par un ascendant légitime ou adoptif et la troisième : de vulnérabilité due à une infirmité.

J’espère que ceux qui font droit seront d’accord avec cette explication d’un étudiant en journalisme.

Le silence sur cette pratique

Je me suis questionné sur pourquoi ce traitement n’est pas si dénoncé et condamné, alors que les législateurs ont bien noté ce cas. Je pose la question, alors, à M. Tossa. L’Etat prend-il en considération cette pratique abominable ? Affiche-il une position de lutte pour l’éradiquer ? Il tranche : « l’Etat fait plutôt avec. » Fin de citation. Toutefois, l’activiste ne cache pas son regret qu’il n’y est pas « d’ONG spécialisées sur cette question ». Quoique la pratique est très fréquente et reste non dénoncée.

ELT elle-même, quand je lui ai demandé pourquoi elle n’a pas dénoncé cet acte. Avant de me répondre, elle m’a regardé d’un œil incrédule, peut-être apeurée que je viole notre accord en mentionnant son nom. Elle m’a répondu que même après ses quatre mois qu’elle a vécu avec sa tante quand elle a voulu quitter, seul son papa l’avait compris. Sa mère tenait mordicus qu’elle patiente et reste au moins jusqu’à la fin de l’année pour ne pas frustrer sa sœur.

Ces deux étudiantes de Guinée-Conakry sont des cas parmi tant d’autres qui existent aujourd’hui dans toutes les communautés de ma Guinée. Tant bien que chez les étudiantes (plus fréquent) que chez les étudiants.

Je ne parle pas des mecs comme moi, même pour le bain du matin il faut aller prendre la pâte dentifrice ou le savon que l’oncle ou le tuteur à acheter pour la famille, notamment les enfants.

Auteur : Diarouga Aziz Balde

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Commentaires

Benedicta honyiglo
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Merci pour ce billet pertinent. En effet, cette pratique n'est pas propre à la Guinée. A Lomé, capitale du Togo, elle commence parfois même plus tôt. De jeunes enfants sont arrachés à leur famille dans les villages éloignées avec la promesse d'une inscription dans une école. Au collège, j'ai connu une fille dans mon quartier, qui, partie de son village au sud-ouest du Togo, a atterri à Accra (Ghana) avec les mêmes promesses de scolarisation. Fatiguée des sévices subies, elle dut fuir sa tante au bout de 3 ans de calvaire, pour retrouver sa famille au Togo.

Diarouga Aziz Balde
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Merci beaucoup pour cet témoignage

Camara
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Juste de fier de toi. Et bon courage. J'ai été embarqué du debut à la fin.

Diarouga Aziz Balde
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Merci beaucoup

Sia Mariam kamano
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Merci pour le bulletin;
C'est un fait réel et connu de tous;
Nombreux sont ces etudiants qui vivent ce calvaire et souffrent en silence.

Diarouga Aziz Balde
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Merci beaucoup